Résumé
Il s'agira, par le biais de la présente communication, de contribuer à la réflexion scientifique sur le recours aux dimensions historiques dans des recherches de type action en DDL. Pour être davantage précis, il sera question de s'interroger sur les enjeux liés aux propositions didactiques concrètes envisagées à partir d'une réflexion historicisée à cœur. Si l'on définit l'historicité comme « la capacité qu'ont les acteurs sociaux à inscrire leur présent dans une histoire » (Deluermoz, 2013 : 3) ou plus encore « la manière dont l'histoire vient à la conscience des acteurs » (Ibid. : 6), l'historicisation constitue dès lors une véritable posture de recherche impliquant le chercheur vis-à-vis du champ dans lequel il choisit de s'inscrire et la manière dont il fait sens de l'histoire de ce même champ. Une réflexion historicisée à cœur, tel que nous le formulons, revient donc à construire une démarche interprétative au sens où l'historicisation est un levier de compréhension à proprement parler. Cela veut dire que, dans le cadre d'une recherche-action, l'historicisation n'intervient pas (seulement) en amont de propositions didactiques : elle est, en partie, ce à partir de quoi est envisagée l'intervention. Pour mener à bien cette réflexion de nature historico-épistémologique, je prendrai pour exemple mon travail de thèse au sujet de l'appropriation du FLE/S par la pratique théâtrale.
Dans un premier temps, je tâcherai de rendre compte du cheminement intellectuel de ma réflexion sur l'histoire des pratiques théâtrales en didactique du FLE/S et son articulation avec la médiation théâtrale que j'ai menée auprès de jeunes allophones en formation professionnelle. A partir d'une historicisation de la notion de créativité ou plutôt de la caractérisation des pratiques théâtrales comme relevant d'une pédagogie de la créativité, j'expliciterai d'une part comment je me suis positionné vis-à-vis de ce paradigme en choisissant d'autres entrées thématiques et comment, d'autre part, cela a pu influer sur la dimension pratique de ma recherche et donc les propositions didactiques qui en ont découlé. La notion de créativité et les pratiques théâtrales faisant maintenant pleinement partie du paysage de la DDL, historiciser ces phénomènes revient à faire « l'étude de leurs conditions de productions politiques, idéologiques, intellectuelles, discursives, à leur sémantisation, à leur réception, à leur transformation » (Spaëth, 2020), ce qui permet entre autres de « redonner de l'épaisseur aux historicités, aux temps vécus qui s'entrecroisent sans cesse, mais qui finissent par être lissés par le temps » (Ibid.). Nous pouvons alors nous demander en quoi cela est heuristique, pour la recherche et en termes de retombées didactiques, d'historiciser la pratique pédagogique de laquelle on s'empare et dans laquelle on choisit de s'inscrire. In fine, il s'agit donc de réfléchir à la manière dont, en tant que chercheur, il est possible d'articuler historicisation d'un objet d'étude et projet d'intervention.
Dans un second temps, j'interrogerai les implications épistémologiques qui découlent d'une perspective interventionniste comme la mienne. La recherche en DDL témoignant d'une orientation prioritairement praxéologique (Castellotti, 2017), il s'agit de se positionner vis-à-vis de la manière même d'envisager l'intervention. En effet, une démarche de recherche-action en DFLE comme celle-ci consiste à créer du nouveau, suscitant des attentes et des retombées didactiques. Peut-on alors s'exercer à de nouvelles propositions didactiques-pédagogiques « sans être persuadé qu'il est possible et souhaitable d'aller de l'avant, de faire progresser les savoirs constitutifs de ce domaine ? » (Besse, 2016). Ce questionnement nous amène fort logiquement à questionner ce que Castellotti, Debono et Huver (2017) identifient comme une « tradition de l'innovation », celle-ci étant inévitablement corrélée à une réduction sémantique de l'idée de progrès (Debono, 2016). Peut-on en ce sens, à partir de certaines orientations historiographiques, s'émanciper de cette tradition de l'innovation en DDL et envisager autrement la recherche-action au sein de notre champ ?
Bibliographie
Besse, H. (2016). « Cinq questions sur l'étude historique des “innovations pédagogiques” en didactique des langues étrangères ou secondes (L2) », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde, n°57, pp. 11-31.
Castellotti, V. (2017). Pour une didactique de l'appropration : diversité, compréhension, relation. Didier.
Castellotti, V., Debono, M., Huver, E. (2017). « Une « tradition de l'innovation » ? Réflexion à partir du corrélat innovation / créativité en didactique des langues », TRANEL - Travaux neuchâtelois de linguistique, n°65, pp. 113-130. http://www.unine.ch/files/live/sites/tranel/files/Tranel/65/113-130_Varia_def.pdf
Debono, M. (2016). « Que fait l'innovation à la didactique des langues ? Éléments d'histoire notionnelle pour une réflexion (très) actuelle », Documents pour l'Histoire du français langue étrangère ou seconde, nº 57, pp. 29-51. URL : https://journals.openedition.org/dhfles/4366
Deluermoz, Q. (2013). « Les formes incertaines du temps: Une histoire des historicités est-elle possible ? », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 117, 3-11. https://doi.org/10.3917/vin.117.0003
Spaëth, V. (2020). Présentation. Didactique du français langue étrangère et seconde : histoire et historicités. Langue française, 208, 7-20. https://doi.org/10.3917/lf.208.0007