Cette contribution, centrée sur les Pays-Bas habsbourgeois, a pour objectif de mettre en avant la pertinence scientifique des ouvrages didactiques anciens destinés à l'enseignement et l'apprentissage du FLE pour trois domaines de la connaissance : 1) l'histoire du livre ; 2) l'histoire des idées linguistiques ; 3) l'histoire du français.
1) Dans le domaine de l'histoire du livre, les ouvrages didactiques anciens autorisent de multiples approches qui s'articulent autour de deux grands axes : l'étude des réseaux (production, circulation, diffusion) et l'étude des aspects matériels (formats, typographie, etc.). Le souci pédagogique a, de tout temps, conduit les enseignants à inventer des dispositifs visuels qui permettent aux apprenants d'assimiler la matière plus facilement et plus efficacement. Dès l'apparition de l'imprimerie, les différents acteurs impliqués dans la production d'ouvrages didactiques expérimentent avec cette nouvelle technologie dans le but d'optimiser la présentation des données. Grâce à la vaste diffusion des ouvrages didactiques, l'usage d'outils visuels expérimentaux s'est parfois généralisé (cf. la distinction entre et , d'abord proposée dans des grammaires savantes, puis appliquée à large échelle dans les ouvrages de FLE produits dans les Pays-Bas méridionaux avant d'être acceptée comme norme par les locuteurs natifs du français). L'histoire du couple typographique romain/italique constitue un autre exemple où l'étude des ouvrages didactiques anciens jette une nouvelle lumière sur la genèse des oppositions sémantiques en (ortho-)typographie européenne des Temps modernes.
2) L'étude des outils didactiques anciens apporte également une contribution substantielle au domaine de l'histoire des idées linguistiques. Il est vrai que les réflexions sur le langage exposées dans les paratextes de nombreux outils didactiques de FLE manquent souvent d'originalité par rapport à d'autres types d'écrits métalinguistiques des mêmes périodes (grammaires savantes ou traités). Néanmoins, ces outils appliqués revêtent un intérêt pour l'historiographie de la linguistique en tant que reflets des conceptions particulièrement courantes dans un contexte spatio-temporel donné. En ce sens, les produits didactiques sont une porte d'entrée pour étudier la « conscience linguistique » d'une époque, c'est-à-dire le fonds commun de connaissances et concepts métalinguistiques, supposés connus par de larges couches de population. Cet aspect des recherches sera illustré à l'aide des notions métalinguistiques non explicitées sur lesquelles repose l'organisation des ouvrages lexicographiques français-néerlandais pour débutants.
3) Après avoir constitué, pendant longtemps, une des principales sources pour l'histoire du français préclassique et classique, les ouvrages didactiques ont plus récemment perdu la cote auprès des diachroniciens qui leur reprochent le caractère non authentique des matériaux linguistiques présentés. Le cas des dialogues didactiques servira d'exemple pour réhabiliter les ouvrages didactiques anciens aux yeux des linguistes en esquissant une méthodologie d'analyse appropriée à ce type de sources. Recherchant davantage l'adéquation situationnelle que l'effet littéraire, les dialogues didactiques comptent parmi les sources les plus fiables sur le français oral des siècles passés. Cependant, la visée didactique confère automatiquement à ces dialogues une dimension prescriptive susceptible de traduire des conceptions implicites sur le degré de prestige et d'acceptabilité des différentes variétés du français. À ce titre, les dialogues didactiques constituent un corpus de textes spécifique qui se prête particulièrement bien à l'étude de la tension entre la variation et la standardisation en français préclassique et classique et permet d'aborder ce processus par le biais de la variation pragmatique en diachronie.
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